Le droit national

26 L’article 36 bis de la loi sur le génie génétique (Gentechnikgesetz, ci‑après le «GenTG»), introduit par la loi du 21 décembre 2004 (BGBl. 2005 I, p. 186), est ainsi libellé:
«Le transfert de caractéristiques d’un organisme qui reposent sur des manipulations génétiques, ou tous autres apports d’organismes génétiquement modifiés, sont constitutifs d’une altération substantielle au sens de l’article 906 du code civil [Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après le «BGB»] lorsque, en raison de ce transfert ou de cet autre apport, des produits ne peuvent en particulier, contrairement à l’intention de la personne qui est habilitée à en tirer les fruits,
1.être mis sur le marché ou
2.être mis sur le marché, en application des dispositions de la présente loi ou d’autres dispositions, que moyennant un étiquetage faisant mention de la modification génétique […]»
27 L’article 906, paragraphe 2, du BGB, dans sa version publiée le 2 janvier 2002 (BGBl. 2002 I, p. 42), dispose:
«Il en va de même lorsque l’altération substantielle provient d’une utilisation de l’autre immeuble qui est conforme aux habitudes locales et qu’elle ne peut pas être empêchée par des mesures pouvant raisonnablement être exigées, sur le plan économique, de ce type d’utilisateurs. Le propriétaire qui, en vertu de cette règle, est tenu de tolérer une nuisance, peut exiger du possesseur de l’autre immeuble une compensation pécuniaire appropriée lorsque ladite nuisance altère l’utilisation conforme aux habitudes locales de son immeuble ou les fruits que celui-ci rapporte au-delà de ce qui peut être raisonnablement exigé de lui.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

28 En 1998, Monsanto Europe a obtenu, en exécution de la décision 98/294/CE de la Commission, du 22 avril 1998, concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), conformément à la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 131, p. 32), une autorisation de mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 (ci-après le «maïs MON 810»).
29 La culture du maïs MON 810 a été interdite en Allemagne par une décision du 17 avril 2009 du Bundesamt für Verbraucherschutz und Lebensmittelsicherheit (Office fédéral pour la protection des consommateurs et la sécurité des aliments), qui a ordonné la suspension provisoire de l’autorisation de mise sur le marché.
30 Monsanto Technology est titulaire des admissions de variétés en vertu de la législation relative aux semences. Monsanto Agrar Deutschland est compétente pour la commercialisation en Allemagne de la semence obtenue à partir de la souche de maïs MON 810.
31 Le maïs MON 810 contient un gène de la bactérie du sol bacillus thuringiensis (Bt) qui excrète des toxines Bt dans le plant de maïs. Ces toxines permettent de lutter contre les chenilles de la pyrale du maïs, papillon parasite du maïs dont les larves, en cas d’infestation, fragilisent le plant de maïs dans son développement. Les toxines Bt détruisent les cellules de l’intestin des larves, entraînant ainsi leur mort.
32 Le Freistaat Bayern est propriétaire de différents terrains sur lesquels du maïs MON 810 a été cultivé à des fins de recherche au cours des dernières années. Il n’exclut pas de reprendre cette culture à l’expiration de l’interdiction ordonnée pour l’ensemble du territoire allemand.
33 M. Bablok est un apiculteur amateur. À proximité des terrains appartenant au Freistaat Bayern, il produit du miel destiné à la vente ou à sa propre consommation. Jusqu’en 2005, il produisait également du pollen destiné à être vendu comme denrée alimentaire, sous forme de compléments alimentaires. Il a l’intention de reprendre la production de pollen dès que sera écarté le risque d’apport de pollen génétiquement modifié.
34 MM. Egeter, Stegmeier, Müller et Mme Klimesch se sont joints à la procédure nationale au stade de l’appel. Ils sont également des apiculteurs amateurs, certains uniquement aux fins de leur consommation personnelle. Leurs ruches sont situées à une distance comprise entre un et trois kilomètres des terrains appartenant au Freistaat Bayern.
35 Du pollen, récolté par les abeilles et stocké dans certaines parties de la ruche à des fins d’alimentation, peut se trouver incorporé au miel fortuitement, du fait des abeilles au cours de leur production de celui-ci et, techniquement, du fait de l’apiculteur, à l’occasion de la centrifugation des rayons lors de la récolte du miel, qui aboutit à l’extraction, outre du contenu des alvéoles renfermant celui-ci, du contenu d’alvéoles voisines destinées au stockage du pollen.
36 En 2005, la présence, d’une part, d’ADN de maïs MON 810, dans une proportion de 4,1 % par rapport à l’ADN total du maïs, et, d’autre part, de protéines transgéniques (toxine Bt) a été constatée dans le pollen de maïs récolté par M. Bablok dans des ruches situées à 500 mètres des terrains du Freistaat Bayern.
37 Par ailleurs, la présence de très faibles quantités d’ADN de maïs MON 810, provenant de l’apport de pollen de ce maïs, a été détectée dans quelques échantillons de miel de M. Bablok.
38 À la date de la décision de renvoi, la présence d’ADN de maïs MON 810 n’avait pas été détectée dans les produits apicoles de MM. Egeter, Stegmeier et Müller ainsi que de MmeKlimesch.
39 Dans le cadre de la procédure au principal, la juridiction de renvoi doit statuer sur une demande visant à ce qu’il soit constaté que, en raison de la présence du pollen de maïs MON 810 dans les produits apicoles en cause, ceux-ci sont rendus impropres à la commercialisation ou à la consommation et que, ainsi, ils sont l’objet d’une «altération substantielle» au sens des articles 36 bis du GenTG et 906, paragraphe 2, du BGB.
40 Cette demande a été accueillie en première instance par le Bayerisches Verwaltungsgericht Augsburg, selon jugement du 30 mai 2008. Cette juridiction a considéré que l’apport de pollen de maïs MON 810 faisait du miel et des compléments alimentaires à base de pollen des denrées alimentaires soumises à autorisation, de sorte que, en application de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003, ces produits ne pouvaient être mis sur le marché à défaut d’une telle autorisation.
41 Selon le Bayerisches Verwaltungsgericht Augsburg, le miel et les compléments alimentaires à base de pollen produits par M. Bablok sont substantiellement altérés en raison de la présence de pollen de maïs MON 810.
42 Contestant cette analyse, Monsanto Technology, Monsanto Agrar Deutschland et le Freistaat Bayern ont interjeté appel du jugement devant le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof.
43 Devant cette dernière juridiction, ils soutiennent que le règlement n° 1829/2003 n’est pas applicable au pollen de la souche de maïs MON 810 présent dans le miel ou utilisé comme complément alimentaire. En effet, les conséquences d’un apport naturel dans des denrées alimentaires auraient été examinées et, par conséquent, autorisées à l’occasion de la décision 98/294.
44 Par ailleurs, le pollen présent dans le miel ou utilisé comme complément alimentaire ne serait pas un «OGM» au sens du règlement n° 1829/2003, dès lors qu’il ne posséderait plus, au moment où il est incorporé au miel ou est destiné à l’alimentation, notamment sous forme de complément alimentaire, aucune aptitude concrète et individuelle à la reproduction et que la seule présence d’ADN et/ou de protéines transgéniques ne serait pas suffisante à cet égard.
45 Si le règlement n° 1829/2003 était applicable, il y aurait lieu de procéder à une interprétation restrictive des règles d’autorisation qu’il contient. En cas d’apport fortuit de pollen de maïs MON 810, présent en toute légalité dans la nature, une autorisation de mise sur le marché du miel ne serait nécessaire qu’au-delà d’un seuil de 0,9 %, tel que celui prévu en matière d’étiquetage à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003.
46.Le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof relève que la culture du maïs MON 810, qui a eu lieu dans le passé et pourrait reprendre à l’avenir, est juridiquement licite, sous réserve du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché, et que les requérants doivent en conséquence la tolérer en application de l’article 906, paragraphe 2, du BGB.
47 En considération de cette dernière disposition, il explique que la question de l’altération substantielle des produits, déterminante pour la solution du litige au principal, dépend du point de savoir si, en cas d’apport de pollen de maïs MON 810, ces produits ne peuvent plus, en tant que denrées alimentaires génétiquement modifiées, être mis sur le marché faute d’autorisation, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003, ou si, en tout état de cause, ils ne peuvent l’être que moyennant un étiquetage faisant mention de la modification génétique, en application de l’article 36 bis du GenTG.
48 La juridiction de renvoi souligne que la présence de pollen de maïs MON 810 ne peut produire de telles conséquences que si les produits apicoles contenant ce pollen relèvent du champ d’application du règlement n° 1829/2003.
49 Elle constate que cette question dépend d’abord du point de savoir si un pollen de maïs tel que celui en cause au principal est un «organisme», au sens de l’article 2, point 4, du règlement n° 1829/2003, et un «OGM», au sens du point 5 du même article, ces dispositions renvoyant aux définitions de ces deux notions données par la directive 2001/18.
50 Selon elle, le pollen de maïs est un «organisme», étant donné que, s’il ne peut se multiplier lui-même, il peut, en tant que cellule sexuelle mâle, transférer dans des conditions naturelles du matériel génétique aux cellules sexuelles femelles.
51 Cependant, le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof observe que le pollen de maïs perd très rapidement, par assèchement, son aptitude à la fécondation d’une fleur de maïs femelle, de sorte qu’il n’est plus un organisme vivant en état de fonctionner pendant toute la période de maturation du miel, à partir du moment où celui-ci, auquel il est incorporé, est stocké dans les rayons et operculé. Il ajoute qu’il en est de même en ce qui concerne le pollen contenu dans les produits à base de pollen, au moment où ces derniers sont destinés à l’alimentation, notamment sous forme de compléments alimentaires.
52 Il se demande donc, principalement, quelles sont les conséquences de la perte, par le pollen litigieux, de son aptitude à la reproduction.
53 Dans ce contexte, le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La notion [d’‘OGM’] au sens de l’article 2, point 5, du règlement [n° 1829/2003] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle inclut également le matériel de plantes génétiquement modifiées (dans le cas présent, le pollen de la souche de maïs génétiquement modifiée MON 810) qui, certes, contient de l’ADN et des protéines génétiquement modifiés (dans le cas présent, de la toxine Bt), mais qui ne possède (plus) aucune aptitude concrète et individuelle à la reproduction au moment où il est incorporé à une denrée alimentaire (miel en l’espèce) ou est destiné à l’alimentation, notamment sous forme de complément alimentaire?
2) Au cas où il serait répondu par la négative à la première question:
a) Suffit-il en tout état de cause, pour que l’on puisse considérer une denrée alimentaire comme un ‘produit à partir d’OGM’, au sens de l’article 2, point 10, du règlement [n° 1829/2003], que cette denrée alimentaire contienne du matériel provenant de plantes génétiquement modifiées qui, à un moment antérieur, a possédé une aptitude concrète et individuelle à la reproduction?
b) Au cas où il serait répondu par l’affirmative à cette question:
La notion de ‘produit à partir d’OGM’, au sens de l’article 2, point 10, et de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement [n° 1829/2003], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle n’exige pas, en ce qui concerne l’OGM, un processus de production intentionnel et étudié et qu’elle inclut également l’apport involontaire et fortuit d’(ex-)OGM dans une denrée alimentaire (en l’occurrence miel ou pollen en tant que complément alimentaire)?
3)Au cas où il serait répondu par l’affirmative à la première ou à la deuxième question:
Les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, du règlement [n° 1829/2003] doivent‑elles être interprétées en ce sens que tout apport de matériel génétiquement modifié, lui-même présent en toute légalité dans la nature, dans des denrées alimentaires d’origine animale, telles que le miel, a pour effet de soumettre celles-ci à l’obligation d’autorisation et de surveillance prévue dans ces dispositions ou est-il possible de se référer par analogie à des seuils par ailleurs applicables (dans le cas, par exemple, de l’article 12, paragraphe 2, du règlement)?»